Une campagne de gemmage

Témoignage de Matthieu Cabaussel

Une campagne de gemmage commence début février. Un pin est prêt à être résiné, dès que l’on peut l’entourer de son bras sans apercevoir sa main de l’autre côté (ils ont alors une trentaine d’années).

Il faut ensuite préparer la future carre, que l’on place à l’est. Pour cela, le résinier utilise le « sarcle à peler », outil en acier recourbé qui va permettre de racler l’écorce. Le pelage est une opération délicate car il faut laisser une fine épaisseur d’écorce en évitant de blesser le pin prématurément.

Vient ensuite le cramponnage, qui consiste à placer une lame de zinc incurvée dans le pin, grâce au « pousse-crampon », pièce en métal présentant une extrémité convexe et tranchante, que l’on cogne avec un maillet. Le « pousse-crampon » imprime son empreinte dans le pin, dans laquelle on insère ensuite le « crampon » en zinc (parfois simplement appelé le « zinc »). Ce dernier va retenir le pot et surtout guider la gemme à l’intérieur.

Pour la préparation du « bassot » (la première carre que l’on ouvre au pied d’un pin), le crampon est positionné le plus bas possible, afin de pouvoir placer le pot à même le sol. Pour les arbres dont la carre a plus d’un an, le crampon est placé à environ 10 cm du haut de la carre de l’année précédente, ainsi qu’une pointe un peu plus bas, pour retenir le pot que l’on coince entre le zinc et le clou.

Crédit photo Matthieu Cabaussel

Vers le début du mois de mars, le résinier effectue la première pique à l’aide du « hapchot ». Pour les carres de première année, l’arbre est entaillé (ou « piqué ») juste au dessus du crampon, pour celles de deuxième, troisième, quatrième année et plus, on poursuit la carre de l’année précédente. La profondeur de la carre ne doit pas excéder 1 cm. Sa largeur peut varier suivant les régions et les exigences des propriétaires, de 9 à 12 cm. A ce stade la température et l’ensoleillement sont décisifs, plus il fait chaud, plus la résine coule. Le pin cicatrisant, afin de garantir un débit régulier de résine, il faut rafraîchir les carres toutes les semaines en prolongeant l’entaille de quelques centimètres vers le haut à chaque pique. Les copeaux qui tombent sont appelés des « galips ». Chargés de résine, ils sont précieusement ramassés et gardés pour allumer le feu.

La pique occupe les gemmeurs durant la majorité de la campagne de gemmage, jusqu’au mois d’octobre. On progresse en général de 1 m par an, et les carres peuvent ainsi atteindre jusqu'à 5 m. Le résinier monte parfois sur son « pitey » pour pratiquer la pique, ou se sert d’un outil monté sur long manche : le « rasclet ». Quand les pots sont pleins, le résinier, parfois aidé de sa femme et de ses enfants, les vide grâce à une petite spatule (la « palinette ») dans des « escouartes » (récipients d’une quinzaine de litres, en bois ou en zinc), c’est l’amasse. Les pots sont vidés environ une fois par mois. Les « escouartes » sont à leur tour vidées dans des « tosses » (réservoirs en ciment éparpillés en forêt et recouverts d’un couvercle en bois), puis les « tosses » dans des barriques en métal pour être enfin acheminées vers les distilleries de résine.

La campagne se termine au mois de novembre avec l’arrivée de l’hiver. La dernière étape est le « barrasquage ». Le résinier entoure le pied du pin avec un drap et gratte la résine séchée (le « barras ») sur la carre avec le « barrasquit ». Le « barras » est ensuite ajouté à la résine molle dans la barrique. Durant les mois d’hiver, les résiniers s’occupent à entretenir la forêt, et pailler les chemins avec du grépin (aiguilles de pin). Au fil des saisons, et quand le résinier ne peut aller plus haut, il ouvrira une autre carre de l’autre côté du pin. Lorsqu’elle atteindra la hauteur de la précédente, il en ouvrira un troisième, puis une quatrième, jusqu’à faire le tour de l’arbre. Avec le temps, des bourrelets se forment sur les cotés de la carre, l’arbre cicatrise. Certains pins ont été tellement sollicités, qu’en cicatrisant ils s’évasent dans leur partie inférieure et acquièrent une forme caractéristique de « bouteille ». Bon nombre de « pins bouteille » ou « pins cathédrale » sont toujours visibles dans la Montagne…mais pour combien de temps encore ? Une fois que le gemmeur a fait des carres sur tout le tour du pin, il peut à nouveau en ouvrir de nouvelles sur la « tède » (bourrelets de cicatrisation). De cette façon il n’est pas rare qu’un « pin bouteille » soit résiné pendant près d’un siècle. Un résinier doit en moyenne s’occuper de 4 000 à 6 000 pins pendant la campagne, répartis sur 15 à 20 hectares, et produisant chacun d’entre eux de 1 à 2,5 litres de gemme par an. Quand un pin est destiné à être abattu, on place des pots sur toute la circonférence du tronc, on dit que le pin est « gemmé à mort » afin d’en extraire un maximum de résine avant la coupe.

Témoignage de Claude Courau (ancien gemmeur)

Les campagnes de gemmage commençaient vers la fin du mois de janvier, et se terminaient généralement fin novembre. Le résinier préparait d'abord les pins qui devaient recevoir les "carres". Pour ce faire, il procédait aux opérations de "pelage" puis de "cramponnage". Les pots en terre cuite destinés à recevoir la résine pouvaient alors être mis en place. Ces travaux devaient être achevés dans la première quinzaine de mars. A partir de la mi-mars, le gemmeur donnait les premières "piques", et réalisait les carres à l'aide d'un outil appelé hapchòt. En Gironde, les nouvelles piques se succédaient à un intervalle de 8 jours, alors que dans les Landes, ce délai tombait souvent à 4 jours. Dans le même temps, il fallait récolter la résine qui s'était écoulée dans les pots et la vider dans une barrique. Cette opération de récolte de la résine, que l'on appelait "l'amasse", était très souvent effectuée par la femme du résinier car celui-ci devait continuer à pratiquer de nouvelles piques. La campagne touchait à sa fin à partir de la fin du mois d'octobre, et le gemmeur aidé de sa femme procédait alors au "barrasquage". Cette dernière manipulation, assez pénible, consistait à racler la résine durcie qui s'était formée le long des carres durant toute la campagne.

En novembre et décembre, la plupart des résiniers continuaient à travailler en forêt, à l'entretien des sites, à l'abattage des pins ou à l'éclaircissement des semis. Pendant ce temps, les femmes coupaient de la bruyère ou des hautes herbes devant servir de litière au bétail. Ces activités permettaient aux résiniers de vivre jusqu'à la reprise d'une nouvelle campagne de gemmage

Claude Courau en compagnie de Mme Grasa veuve de M. Ricardo Grasa (6.02.1924 - 2.7.2008) avec lequel elle travaillait au Domaine de Certes. Le fût de résine devant eux est le dernier récolté, au moins sur le Nord-Bassin (1984). La résine à l'intérieur est toute noire mais encore liquide. (photo Joël Confoulan)

La vie d'un couple de résiniers: Monsieur et Madame Grasa

Mlle Henriette MINAULT est née le 19.1.1932 à Arès. Son père travaillait à l’entretien de la voie ferrée Facture-Lesparre, sa mère faisait des ménages. Le 19 octobre 1950, elle épouse à Andernos Ricardo GRASA, ouvrier dans une scierie, né le 6.2.1924 à Oséra de Ebro en Espagne. Ricardo GRASA est arrivé en France avec sa mère en 1936, tandis que son père était mobilisé dans l’armée Espagnole pour affronter la terrible guerre civile qui venait d’éclater. Lorsqu’elle était jeune fille, Henriette MINAULT travaillait comme femme de ménage.

Mariés, Ricardo et Henriette travaillent à résiner des pins au Domaine de CERTES à Audenge, puis ils vont résiner dans la forêt communale à Blagon commune de Lanton. Ricardo gemme les pins et Henriette récolte la résine. Puis arrive le gemmage activé à l’acide sulfurique. Ce nouveau procédé, plus facile qu’avec le hapchot, permet aux femmes de résiner les pins.

Henriette se met à résiner aux côtés de son mari, et c’est ainsi 15000 pins qui sont gemmés par le couple. Le couple GRASA a 7 enfants : Monique – Arlette – Karl – Katy – Muguette – Eric – Delhia. Le fait d’avoir des enfants n’empêche pas Henriette de travailler avec son mari. Ils achètent un fourgon pour aller en forêt. Cela permet d’amener toute la famille le mercredi et pendant les vacances. Les enfants encore bébés suivaient dans le fourgon couchés dans un petit lit, et toutes les 3 heures elle venait donner le biberon. Lorsqu’ils viennent résiner les pins de la commune de Lanton, Ricardo et Henriette achètent un terrain dans le quartier de Blagon. Ils construisent une petite maison d’une pièce, dans laquelle ils vont vivre avec les enfants. Dès qu’ils purent économiser un peu d’argent pour acheter le matériel, ils agrandissent la maison, et construisent des dépendances.

Dans les années 1960, un landais eut l’idée de remplacer l’escouarte (le seau qui servait à ramasser la résine), par une brouette qui sert à transporter un fût permettant avec un appareillage spécial de ramasser 40 litres de résine au lieu de 15.

Ricardo grand bricoleur, met au point sa propre brouette, puis il se met à en fabriquer et à les vendre aux résiniers des environs. Ce nouveau travail auquel participent les enfants, s’ajoute à celui de résinier.

En 1984, la santé déficiente, Ricardo arrête de résiner. Lorsque le transporteur des barriques de résine vient pour ramasser la dernière récolte, afin de l’amener à l’usine de distillation BLECK à Marcheprime, il y avait une barrique de trop. Ricardo décide de garder cette barrique pleine de résine chez lui. Il décède d’une crise cardiaque le 2.7.2008.

Faits rassemblés par Claude COURAU juillet 2012

Liste des ouvriers agricoles en 1953 travaillant au Château de Certes

On y retrouve la présence de Ricardo Grasa.

51 personnes travaillaient en 1953 au Domaine de Certes. Cette liste montre la double vocation du Domaine. Les épouses des résiniers n'y figurent pas...

Extrait d' "Audenge et son canton" de Jean-Pierre Bernès - Editions AlanSutton