Introduction

Matthieu CABAUSSEL président de l'association Lou paliquey (Objet: sauvegarde, valorisation et promotion du patrimoine forestier du littoral aquitain)

Extrait gravure Léo Drouyn. Arcachon 22 août 1848. Editions de l'Entre-deux-Mers. Un couple de résiniers approvisionnent le barque.

La récolte de la résine du pin maritime est un savoir faire qui a rythmé la vie économique du Bassin d'Arcachon pendant des siècles. Les premières techniques, attestées dès l'Antiquité, ont été mises au point dans les forêts endémiques du Pays de Buch. Le gemmeur, armé de son « hapchot », pratique une « pique » dans l'aubier du pin. En réaction à cette blessure, l'arbre sécrète de la résine destinée à assurer sa cicatrisation. La résine était autrefois filtrée, cuite, puis distillée à partir du XVIIe siècle pour séparer l'essence de térébenthine de la colophane. D'abord écoulées localement, les résines du Bassin d'Arcachon se forgeront une réputation hors pair, expédiées depuis le port de La Teste dans l'Europe entière, avant même les boisements intensifs, fruits de la loi de 1857 qui donnera naissance au plus grand massif forestier européen: les Landes de Gascogne.

Colophane et essence de térébenthine sont utilisées dans l'industrie chimique et pharmaceutique jusqu'à la fin du XXe siècle: vernis, peintures, colles, huiles, linoléums, parfums, savons, encre, chewing-gum... Dans les années 1930, apogée de la récolte de l'or blanc de la forêt landaise, c'est une véritable filière industrielle qui fait vivre le territoire avec plus de 35 000 emplois directs et indirects. Les produits pétroliers et le coût élevé de la main d'œuvre ont entraîné un déclin puis une disparition de la production résinière en Aquitaine en 1991

Crédit photo Matthieu Cabaussel

Mais le gemmage c'est aussi et surtout une part de cette identité duale du Bassin d'Arcachon et du Val de l'Eyre (pour moitié maritime et pour moitié forestière). Des générations de gemmeurs ont perpétué un savoir-faire qui ne s'apprend ni à l'école, ni dans les livres, mais du père et du grand père. Indissociable de sa forêt et de sa cabane, le résinier est l'icône même du Bassin d'Arcachon auquel sont associés des gestes, des outils, des senteurs mêlées aux bruits de la forêt, des paysages façonnés et entretenus par l'Homme. Connaitre et comprendre le territoire dans son intimité, c'est aller à la rencontre de ces larmes de résine qui ont empli les pots en terre cuite accrochés aux flancs des pins, fait vivre tant de familles et forgé le caractère des "bougès" d'hier, et certainement de demain. Entre les années 1990 et 2010, la forêt de Gascogne était confrontée à un paradoxe: les pays européens importaient la totalité de leurs besoins en colophane et essence de térébenthine, tandis que le million d'hectares de forêt landaise ne produisaient pas une seule goutte de résine. Aujourd'hui la Chine demeure le premier producteur mondial de résine, même si les volumes ont chuté de plus de moitié en 5 ans, entrainant une hausse spectaculaire du cours mondial de la gemme.

Parallèlement, un procédé en vase clos permet de produire une résine pure, prisée pour des usages à haute valeur ajoutée dans l'industrie chimique et pharmaceutique. La perçeuse électro-portative a remplacé le hapchot, les galips ne se ramassent plus pour allumer le feu, le pot en verre a remplacé le pot en terre... Ironie du sort, les industriels cherchent à présent à remplacer les produits pétroliers par des produits naturels et renouvelables. Autant d'ingrédients qui permettent d'affirmer que le gemmage est actuellement en train de faire son retour dans un massif forestier innovant et plein de ressources.